19, 20 et 21 octobre 2024
Visite des descendants des familles Johnston
et Gwilliam
Rubescourt (Somme)
Le Frestoy-Vaux, Maignelay, Coivrel, Beauvais (Oise)
Pantin (Seine-Saint-Denis)
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Cette visite ayant été reportée depuis 2020 en raison de la pandémie, nous avons enfin eu l’honneur d’accueillir Colin et Bradley Johnston, en provenance de Melbourne (fils et petits-fils du F/Sgt Eric L. Johnston) ainsi qu’Erin Sharp (belle-fille du F/Sgt James P. Gwilliam) venue de Sydney qui était accompagnée de sa nièce Tara. Ces familles avaient entrepris ce long voyage depuis l’Australie afin de tenter de lever les zones d’ombre liées à l’aventure de leurs pères.
Leur visite a tout d’abord débuté, dans la matinée, à Rubescourt (Somme), petit village de 135 habitants près duquel le bombardier Halifax MZ692 du Squadron 78 s’était écrasé dans la nuit du 22 au 23 juin 1944.
Mme Chantal Desprez, maire de la commune, des membres de son conseil municipal et de nombreuses personnes intéressées par l’Histoire et la venue de ces familles australiennes nous ont accueillis. Deux véhicules d'époque (une Jeep et un Dodge) nous ont ensuite emmenés sur le site du crash situé dans une pâture, proche de la ferme de Pas.
Sur place, M. Moreau, propriétaire du lieu, a remis, à la grande surprise de nos amis australiens, des morceaux d’aluminium, provenant du bombardier, retrouvés au fil des ans.
M. Moreau remettant un débris du Halifax à Colin Johnston
Erin Sharp tenant également un vestige de l’avion.
Photo-souvenir avec certains descendants des familles qui hébergèrent les aviateurs.
Colin conduisant le Dodge qui nous ramena au cœur du village.
S’ensuivit une réception à la mairie où Mme Chantal Desprez et son conseil municipal nous ont conviés au verre de l'amitié.
Un habitant du village a alors remis avec une émotion partagée un dictionnaire retrouvé parmi les débris de l'avion en 1944 et conservé depuis.
Dans l'après-midi, Le Frestoy-Vaux fut notre prochaine étape, un village divisé en trois partie : Le Frestoy, Vaux et le Tronquoy. C'est sur le territoire de cette commune que trois membres de l'équipage, Eric Johnston, James Gwilliam et le pilote Robert Mills, sont tombés séparément en parachute. A Le Frestoy, les descendants de la famille Dufeu nous ont montré la ferme où Robert Mills fut hébergé par leur grand-père.
La grange jouxtant la ferme où fut caché Robert Mills.
En compagnie des descendants de la famille Dufeu devant l’ex-ferme familiale.
Puis nous nous sommes rendus à Vaux mais, hélas, la maison au toit en ardoises sur laquelle Eric Johnston avait atterri n’existe plus et a été remplacée par une maison neuve.
Enfin Le Tronquoy. C’est à proximité de ce hameau qu’avait atterri, dans un arbre, James Gwilliam avant d’être hébergé temporairement dans une petite maison. Le propriétaire de la ferme nous a indiqué l’emplacement du bois du Tronquoy où l’aviateur était resté quelques temps suspendu à son parachute emmêlé dans les branches.
Bradley, Colin, Tara et Erin près du bois du Tronquoy.
Une des maisons près de la ferme où James Gwilliam fut probablement recueilli.
Via Le Ployron où malheureusement le passage à niveau « 75 » n’existe plus, tout comme la maison de Germaine Carlier, nous avons atteint Maignelay où nous avons été rejoints par plusieurs descendants des familles qui étaient venus en aide aux aviateurs dans les différents villages alentours. En plus de la famille Dufeu, étaient représentées les familles Levasseur, Floury, Duriez, Horb et Lherminier. Nous nous sommes rendus devant l'ex-maison de Pierre Gager qui hébergea Eric Johnson et Robert Mills.
Devant la maison de Pierre Gager
Sur chaque lieu, des explications étaient données,traduites en anglais par notre ami Franck Signorile.
Dernière étape de la journée : Coivrel, d’abord dans le cimetière pour un moment particulièrement fort en émotion devant la tombe du couple Creton, propriétaire du café qui hébergea les aviateurs australiens. M. Guy Pieronne, leur petit-fils, qui aurait dû être parmi nous, avait demandé à Colin Johnston de procéder à un geste symbolique ayant beaucoup d’importance à ses yeux.
A la fin du mois de juillet 1944, le couple Creton laissait partir les aviateurs après avoir tissé des liens d’amitié très forts avec eux. Les quatre Australiens devaient rejoindre un autre groupe de résistants puis être rapatriés par avion vers l’Angleterre le soir même. Ils s’étaient mis d’accord avant leur départ : un message codé serait émis sur les ondes de la BBC, prouvant qu’ils étaient bien arrivés à Londres, sain et sauf. Le soir même et les jours suivants, les Creton écoutèrent l’émission « Les Français parlent aux Français » sur Radio-Londres mais le message ne fut pas diffusé. Il ne le fut jamais. Et pour cause, les aviateurs étaient tombés dans un piège et avaient été arrêtés par les Allemands.
Les Creton sont décédés sans savoir ce qui était arrivé à leurs protégés.
80 ans plus tard, devant la sépulture des grands-parents de M. Pieronne, Colin Johnston, submergé par l’émotion, a pu enfin prononcer cette phrase codée qu’ils auraient tant aimé entendre à la BBC : « Les rois sont couronnés ».
Puis nous avons déambulé dans les rues du village, à la découverte des différentes maisons où avaient trouvé refuge les aviateurs Robert Mills, Keith Mills, Eric Johnston et James Gwilliam.
D’abord l’ex-maison de Paul Omnès. En effet, selon les souvenirs d’Eric Johnston, c’est à l’arrière de cette maison que fut prise la photo des aviateurs en compagnie de leurs sauveteurs avant leur départ de Coivrel fin juillet 1944. La propriétaire actuelle de la maison, avec une extrême gentillesse, nous a permis de nous rendre dans son jardin afin de reproduire, 80 ans après, une photo similaire à celle de 1944.
Dans le jardin de la maison de Paul Omnès, les familles Horb, Lherminier et Dufeu réunies avec nos amis australiens.
Nous nous sommes ensuite arrêtés devant l’ex-café-épicerie que tenait la famille Creton pendant la guerre. La façade a peu changé si ce n’est que ce n’est désormais plus un café. Surpris mais ravis de cette visite insolite de nos amis australiens dans leur village habituellement si calme, les propriétaires les ont exceptionnellement autorisés à visiter l’intérieur de leur maison.
Après un arrêt au monument aux morts où une gerbe a été déposée par la municipalité et le respect d’une minute de silence, nous avons été conviés à la mairie par Mme Aline Larue, maire du village, et son conseil municipal, où une réception était organisée.
Cette mairie était aussi l’école où habitait et enseignait Fernande Horb qui, avec son mari, participa à l’hébergement des aviateurs. La salle polyvalente où nous nous sommes rassemblés était d’ailleurs sa salle de classe. Une exposition préparée par la municipalité, composée de nombreuses photos et de documents était présentée.
En présence de M. Patrice Fontaine, Conseiller départemental et maire de Le Frestoy-Vaux, de Mme Chantal Desprez, maire de Rubescourt, des descendants des familles qui vinrent en aide aux aviateurs et de nombreux amis, Mme Aline Larue, après avoir souhaité la bienvenue à nos amis australiens ainsi qu’à toute l’assistance, déclara « Nous levons un douloureux pan de l’histoire de notre village mais qui nous fait honneur…. »
Patrice Fontaine prononça quelques mots puis l’aventure vécue par les aviateurs australiens a été décrite. S’ensuivit la lecture d’un message de la part de Guy Pieronne, petit-fils de la famille Creton, qui était malheureusement absent.
Très ému, Colin Johnston a prit ensuite la parole, la traduction en français étant assurée Franck Signorile :
« Bonjour, je m'appelle Colin Johnston. Je suis le fils d'Eric Johnston. J'ai fait tout ce chemin depuis l'Australie pour être présent ici, aujourd'hui.
Je suis ici pour exprimer ma gratitude aux enfants et petits-enfants des hommes et des femmes qui ont aidé mon père lorsqu'il en avait grandement besoin.
Comment dire merci à quelqu'un qui aide une personne qu'il ne connaît pas, qu'il n'a jamais rencontrée, et qui, en faisant cela, met sa propre vie en danger ?
Si toutes vos familles n'avaient pas fait preuve de compassion et n'avaient pas offert protection et nourriture aux quatre jeunes aviateurs abattus au-dessus de la France en 1944, je ne serais peut-être pas ici pour vous parler aujourd'hui.
Bob Mills, Jimmy Gwilliam, Keith Mills et mon père Eric Johnston ont eu la chance de rencontrer vos familles à un moment où elles en avaient le plus besoin.
C'est grâce à leur générosité que mon fils Bradley et moi-même pouvons assister à cette cérémonie aujourd'hui. Au nom des quatre familles de ces hommes, je remercie du fond du cœur les familles suivantes : la famille Creton, la famille Duriez, la famille Dufeu, la famille Levasseur, la famille Gager, la famille Lherminier, la famille Horb, la famille Floury et probablement d'autres familles qui n'ont pas encore été identifiées à ce jour.
Bien que les quatre hommes aient été capturés après avoir quitté ce sanctuaire, la générosité de vos familles n'a jamais été et ne sera jamais oubliée.
L'organisation de cet événement a pris de nombreuses années avant d'aboutir, en raison de circonstances imprévues, telles que le Covid.
Je voudrais saisir cette occasion pour remercier également Franck Signorile et Dominique Lecomte, pour les longues heures et les efforts qu'ils ont déployés pour rendre cet évènement possible.
Sur une note plus personnelle, je tiens à remercier Guy Pieronne, qui hélas n'a pas pu venir aujourd'hui.
Merci, merci beaucoup ».
Erin Sharp a également fait part de son émotion en rendant hommage aux familles qui avaient aidé les aviateurs.
« Aujourd'hui, c'est avec gratitude que je me tiens devant vous pour évoquer un chapitre important de notre histoire commune, un chapitre qui nous touche tous profondément. Il s'agit d'une histoire de bravoure, de sacrifice et d'esprit d'humanité, centrée sur les membres de vos familles qui ont aidé de manière désintéressée quatre hommes qu'ils ne connaissaient pas.
Lorsque mon beau-père a été abattu au-dessus de la France et séparé de son équipage, il a été confronté à une situation redoutable qui aurait pu se terminer en tragédie. Pourtant, dans ce moment sombre, le courage et la compassion de la Résistance française - vos proches - ont brillé de mille feux. Ces hommes et ces femmes remarquables, unis par leur détermination inébranlable à s'opposer à la tyrannie, ont risqué leur vie pour protéger et aider ceux qui étaient dans le besoin.
Au cours de cette épreuve, mon beau-père a perdu une chaussure, une expérience qui l'a manifestement marqué. Cette expérience lui a appris l'importance de prendre soin de nos biens, en particulier des chaussures. Il insistait toujours sur le fait qu'il fallait les cirer tous les jours et qu'il fallait avoir la bonne paire pour chaque occasion. En fait, j'ai apporté quatre paires avec moi pour ce voyage, même si je ne suis là que pour six jours !
Aux âmes courageuses qui ont offert un abri, de la nourriture et des conseils, leur altruisme n'est pas passé inaperçu. Grâce à leur extraordinaire gentillesse, j'ai pu appeler James Gwilliam mon beau-père.
Aux familles qui lui ont offert un havre de paix, j'adresse mes remerciements les plus sincères. Vos actions nous rappellent la force profonde de la solidarité et l'importance de défendre ce qui est juste.
Puissions-nous toujours nous efforcer d'être une lueur d'espoir pour les autres, tout comme la Résistance française l'a été pour mon beau-père.
Je voudrais également exprimer ma sincère gratitude à Franck Signorile et Dominique Lecomte pour leur dévouement pour leurs recherches sur cet événement historique. Merci »
Cette journée intense se termina par le verre de l'amitié et d’une profusion de gâteaux et autres offerts par la municipalité. Ce moment de convivialité a été l'occasion de nombreux échanges et de partages entre tous.
A gauche, Mme Aline Larue, maire de Coivrel.
Les descendants des familles qui hébergèrent les aviateurs entourant nos Australiens.
Le 20 octobre, nous sommes allés sur la route menant de Chepoix à Breteuil, où les quatre aviateurs avaient été capturés par les Allemands après avoir été trahis. Puis Beauvais, devant l'emplacement de l'ex-caserne Agel où ils furent détenus. Ne subsiste aujourd’hui qu'un monument commémoratif.
Le 21 octobre, nous nous sommes rendus à Pantin où rendez-vous avait été pris avec Pierre Gernez, secrétaire de l’Association des Amis du Musée de la Résistance nationale de Seine-Saint-Denis et Cynthia Beaufils, responsable du Pôle Mémoire et Patrimoine à la ville de Pantin. Ceux-ci étaient accompagnés d’une interprète et de quelques journalistes. Avec l’autorisation de la SNCF, nous avons pu accéder au quai à bestiaux le long des voies ferrées. Ce lieu chargé d'histoire est d’ordinaire privé et interdit au public. C’est là que, le 15 août 1944, les aviateurs embarquèrent, parmi plus de 2 200 déportés, dans le convoi à destination du camp de concentration de Buchenwald.
Une visite exceptionnelle et intense en émotion.
« Quand ils sont rentrés en Australie, personne ne les croyait. Ils n’étaient pas tatoués et normalement les aviateurs n’auraient jamais dû aller en camp de concentration » déclara Erin.
Cette journée s’est achevée dans une salle de la mairie où Franck a exposé ses recherches concernant les aviateurs alliés déportés.
Quelques jours auparavant, Colin et Bradley s’étaient rendus en Allemagne où ils avaient visité le camp de concentration de Buchenwald.
Colin de conclure : « L’ensemble de ces journées de visite fut un mélange d’étonnement et d’extrêmes émotions comme l’excitation, le bonheur et la tristesse. Sans aucun doute les blancs ont été remplis, plus encore que je ne le pensais possible ».