24 février 1944
S/Sgt Eugene A. COLBURN
B-17F # 42-3517 “Happy Warrior”
351st Bomb Group
508th Bomb Squadron
8th Air Force
Grattepanche (Somme)
Eugene A. Colburn est né le 27 février 1921 à Rock City, dans l’Alabama.
Au moment de la déclaration de guerre en décembre 1941, il était ouvrier dans une scierie.
En août 1942, un mois après le décès de son père, il décida de s’engager dans l’US Army Air Corps. Après de longs mois d’entrainement sur différentes bases américaines, il fut breveté mitrailleur et intégra l’équipage d’un Boeing B-17 “Forteresse volante” au sein du 351st Bomb Group de la 8th Air Force. Tous les équipages nouvellement formés étaient alors prêts à rejoindre la Grande Bretagne, aptes à remplacer ou à compléter les effectifs qui combattaient déjà dans le ciel incertain de l’Europe.
De gauche à droite : George Bond, John Mattila, William Nolen, Richard Caughman, Morton Barrell, Howard Langer et Eugene Colburn
En juillet 1943, il épousa sa fiancée Mary qu’il avait rencontrée en 1941.
Eugene Colburn et son épouse Mary
Survenait alors le dur moment de la séparation avec son épouse, sa mère et ses trois jeunes frères. Le S/Sgt Eugene A. Colburn rejoignit Camp Kilmer, dans le New Jersey. Le 9 août 1943, un mois jour pour jour après son mariage et parmi des centaines d’autres jeunes recrues, il embarquait sur un luxueux paquebot britannique converti en transport de troupes à destination de l’Angleterre. Après la traversée de l’Atlantique, le navire accostait dans le port de Liverpool. Le S/Sgt Eugene A. Colburn rejoignit Polebrook, dans le Northamptonshire, où le 351st Bomb Group prenait part à la campagne de bombardements stratégiques au dessus des territoires ennemis.
Le 24 février 1944, l’équipage dont faisait partie le S/Sgt Eugene A. Colburn était désigné pour effectuer sa 10e mission. Lors du briefing matinal, l’objectif du jour fut dévoilé : Schweinfurt, au cœur de l’Allemagne, une cité particulièrement prise pour cible lors de cette “Big Week” commencée depuis quatre jours. Les raids de bombardement massif effectués de jour par l’USAAF et de nuit par la Royal Air Force avaient alors pour but de réduire au maximum la capacité de production aéronautique ennemie.
L’équipage du B-17 #42-3517 “Happy Warrior”, 351st Bomb Group, 508th Bomb Squadron.
1st Lt. Richard B. CAUGHMAN | Pilote | 23 | Evadé | Columbia, South Carolina |
2nd Lt. John V. BOEHM | Copilote | Prisonnier | Hutchinson, Kansas | |
1st Lt. John B. AVERY | Navigateur | 25 | Evadé | Asheville, North Carolina |
1st Lt. Richard E. S. PERKINS | Bombardier | Prisonnier | Rexbury, Massachusetts | |
S/Sgt. Eugene C. STRASSBURGER | Mitrailleur dorsal | 21 | Mort au combat | Wauwatosa, Wisconsin |
T/Sgt. John C. MATTILA | Opérateur-radio | 20 | Evadé | Farwell, Minnesota |
S/Sgt. Paul B. YOUNG | Mitrailleur ventral | 22 | Evadé | San Francisco, California |
S/Sgt. Eugene A. COLBURN | Mitrailleur latéral droit | 23 | Evadé | Bankston, Alabama |
S/Sgt. Howard M. LANGER | Mitrailleur latéral gauche | Prisonnier | Arverne, New York | |
Sgt. James W. McGINTY | Mitrailleur arrière | 25 | Evadé | Visalia, California |
Chargés chacun de 12 bombes de 250 kgs, les quinze appareils du 351st Bomb Group s’envolèrent sous un ciel brumeux. Après la mise en formation, ils se joignirent à l’immense armada de plus de 230 bombardiers qui mirent le cap en direction de l’Allemagne.
Au dessus de la Manche, le “Happy Warrior” piloté par le 1st Lt Caughman rencontra des difficultés puisque l’un des quatre moteurs prit feu. Afin d’éteindre les flammes, le pilote coupa l’alimentation. Evoluant désormais sur trois moteurs, le bombardier éprouvait des difficultés à se maintenir au sein de la formation. Au dessus d’un lac du Zuiderzee, en Hollande, l’appareil se délesta de ses bombes. Ordre était donné au pilote de poursuivre la mission afin d’assurer la protection des autres appareils du feu de ses mitrailleuses.
Parvenue au dessus de l’Allemagne, la formation fut prise sous le feu de la Flak. Les appareils progressaient au milieu des terribles explosions des obus antiaériens ennemis qui endommagèrent le “Happy Warrior”. Après avoir survolé l’objectif, la Forteresse volante en perdition parvint à regagner la France mais les dommages subis contraignirent le pilote à donner l’ordre d’évacuer l’appareil au dessus du département de la Somme.
Les dix membres de l’équipage purent s’extraire de leurs postes respectifs et réussirent à se parachuter.
Le S/Sgt Eugene A. Colburn observa avec horreur que l’un des parachutes ne s’ouvrit pas. Le S/Sgt Eugene C. Strassburger, après une chute vertigineuse, fut entraîné vers une mort horrible.
Précipité dans le vide et dans le froid, le S/Sgt Colburn perdit sa montre et son alliance lors de la descente. Après être parvenu à déployer son parachute, il finit par atterrir durement dans un champ enneigé de la campagne picarde. La brutalité du contact avec le sol lui fit perdre conscience pendant quelques minutes. Sain et sauf, il se retrouva isolé. Aucun de ses compagnons d'infortune n'avait atterri à proximité.
L’appareil abandonné, continuant son vol, vint s’écraser près du village de Grattepanche, dans le département de la Somme, entre Amiens et Ailly-sur-Noye.
Retrouvant ses esprits, le S/Sgt Colburn aperçut un couple de Français qui l’observait. L’homme tenait une fourche et l’aida à le débarrasser rapidement de son parachute puis lui indiqua un bois dans lequel il pouvait se cacher. En fin de journée, il trouva refuge dans une meule de foin, tentant de se prémunir du froid. Dans la nuit, sur une route à proximité, il aperçut des camions remplis de soldats allemands à la recherche des aviateurs.
Le S/Sgt Colburn témoigna par la suite que cette nuit-là, le froid intense et la peur l’empêchèrent de dormir. Ignorant l’endroit exact où il se trouvait, il ne pouvait désormais se fier qu’en sa bonne étoile.
A l’aube du lendemain, il sortit de sa cachette puis se dirigea vers le sud muni de sa boussole. Il longea la voie ferrée reliant Amiens à Paris tout en se dissimulant de temps à autres dans les bois.
Il se déplaça ainsi pendant plusieurs jours, se nourrissant de pommes de terre, de betteraves sucrières ou de carottes que les paysans stockaient dans des silos à travers la campagne.
Au fil du temps, le S/Sgt Colburn était parvenu dans le département de l’Oise. Un vieil homme, réquisitionné par les Allemands pour garder les voies le long de la ligne de chemin de fer, partagea le peu de nourriture qu’il possédait. Il lui indiqua une maison située sur les hauteurs du village voisin. Le S/Sgt Colburn décida de s’y rendre. Il fut accueilli par une vieille femme et sa famille qui offrirent à l’aviateur affamé de la viande, des œufs crus et du pain noir. Il fut vite débarrassé de sa combinaison de vol qui fut enterrée. En échange, il enfila des vêtements de paysan. Selon une correspondance d’après-guerre, les personnes qui recueillirent le S/Sgt Colburn étaient très probablement Théo et Marie Brochart dans le village de Mory-Montcrux (Oise).
Après quelques temps, il fut confié à la famille Maillard qui habitait une ferme située à quelques pas de là, au pied de l’église. Paul Maillard et son épouse Renée hébergèrent le S/Sgt Colburn pendant une quinzaine de jours malgré tous les risques dus à la présence de l’ennemi dans la région. Pendant son séjour, l’aviateur occupait son temps à couper du bois et participait aux travaux de la ferme.
Paul Maillard et son épouse Renée
Au cours du mois de mars, John Stewart, un radio-électricien d’origine anglaise et membre de la Résistance de la ville de Saint-Just-en-Chaussée vint interroger le S/Sgt Colburn. Il s’agissait de vérifier qu’il n’était pas un espion allemand infiltré.
Le S/Sgt Colburn ne fut pas le seul aviateur secouru dans le village de Mory-Montcrux. Le 1st Lt Harry F. Hunter, pilote de P-47 “Thunderbolt” du 353rd Fighter Group de la 8th Air Force, abattu le 30 mai 1944 lors d'une attaque sur la gare de Montdidier, fut également hébergé par la famille Maillard dans les premiers jours du mois de juin 1944.
Pendant ce temps, aux Etats-Unis :
Le 9 mars 1944, un taxi se présentait devant le domicile de Mary, l’épouse du S/Sgt Colburn. Le chauffeur lui tendit un télégramme en provenance de la Western Union. Qu’allait-il lui annoncer ? Sur les ondes de la radio, les informations à propos de la guerre en Europe étaient terrifiantes. Angoissée, Mary ouvrit le papier de ses mains tremblantes. Il lui annonçait la disparition au combat de son époux depuis le 24 février précédant sans information complémentaire. “Porté disparu” ! Mais était-il toujours en vie ? Etait-il prisonnier des Allemands ? Etait-il en train d’être secouru par la Résistance dans les territoires occupés ?
Le jeune frère de Mary porta le télégramme à la mère d’Eugene. Il ne restait plus pour cette famille qu’à prier et espérer.
Cependant, l’espoir n’abandonna jamais son épouse Mary. Elle resta convaincue que son mari réapparaîtrait un jour. Elle acheta des bons aussi souvent que possible afin de soutenir l’effort de guerre du pays.
John Stewart se présenta de nouveau à Mory-Montcrux quelques jours plus tard et emmena le S/Sgt Colburn à bicyclette jusqu’à Saint-Just-en-Chaussée. Avant son départ, une vieille femme remit au jeune aviateur un petit médaillon représentant la Sainte Vierge, cousu dans un mouchoir, afin qu’elle le protège. Il le conservera durant toute sa vie.
A Saint-Just-en-Chaussée, le S/Sgt Colburn fut confié à Jean Crouet, connu dans la Résistance sous le pseudonyme de “John Weeks”. Il était d’ailleurs ingénieur-chimiste à l’usine Weeks. Jean Crouet et son épouse Madeleine hébergèrent l’aviateur pendant environ une semaine avant de le transférer au domicile de Léon Hary, un boulanger de la ville.
Au cours de son séjour à Saint-Just-en Chaussée, Eugene A. Colburn eut la surprise d’être mis en présence de l’un de ses compatriotes, le Sgt Charles F. Payne, amené par le Dr Edmond Caillard.
NDLR : l'évasion du Sgt Payne a déjà été publiée sur notre site. Il fut le seul rescapé de la collision des deux B-24 « Liberator » au dessus des villages de Godenvillers et Le Ployron le 18 mars 1944, une terrible tragédie qui entraîna dans la mort 19 de ses compatriotes. A partir de Saint Just-en-Chaussée, le Sgt Payne et le S/Sgt Colburn seront liés par le même destin. Il est donc opportun de rappeler cette partie de leur évasion commune.
Le mercredi 22 mars, les Sgts Colburn et Payne étaient conduits par le Dr Caillard à Bulles où ils furent hébergés par Pierre Coulon. Ce charpentier avait déjà logé des aviateurs américains le mois précédent. C'était un homme sûr et de totale confiance. Pendant la journée, les deux aviateurs devait rester cachés dans une petite chambre à l’étage de la maison qui surplombait la menuiserie. Ils ne descendaient que le soir pour le dîner. Les allées et venues des Allemands nécessitaient la plus grande prudence.
Eugene Colburn et Charles Payne étaient ensuite emmenés à Cressonsacq où ils furent hébergés dans la ferme d'Henri et Simone Doisy. Jacky du Pac, officier de l’Intelligence, vint les interroger afin de s’assurer qu’ils étaient bien des aviateurs américains. Il les avisa que la Gestapo était en train d’opérer des arrestations sur Paris et qu’il leur fallait encore patienter avant de pouvoir poursuivre leur évasion.
Environ une semaine plus tard, les deux aviateurs furent de nouveau déplacés. Ils furent emmenés chez Valère Sorel, un maréchal-ferrant qui résidait à Brunvillers-la-Motte en compagnie de sa femme Léonie et de leur fille Lucie âgée de 17 ans. Eugene A. Colburn et Charles F. Payne restèrent sous la protection de cette famille durant tout le mois d’avril, au mépris de tous les risques et de tous les sacrifices en ces temps de grande pénurie.
Quelques jours avant la fin du mois d’avril, le Dr Caillard revint chercher les deux aviateurs à Brunvillers-la-Motte. Il les emmena à Creil, chez son ami et confrère, le Dr Georges Debray avec qui il avait de nombreux contacts. L’important complexe ferroviaire et l’aérodrome occupé par les Allemands faisaient subir à la ville de nombreux bombardements.
Le passage chez le Dr Debray ne dura que quelques heures. Eugene A. Colburn et Charles F. Payne furent conduits le jour-même dans le village de Villers-Saint-Paul, à quelques kilomètres de Creil, par Edmond Bourge. Ils furent hébergés chez Mme Suzanne Parizet.
Lors de leur séjour à Villers-Saint-Paul, les deux aviateurs rencontrèrent de nouveau Jacky du Pac qui les avait interrogés précédemment. Il leur annonça qu’ils partiraient dans quelques jours. Ils rencontrèrent également un instituteur, Louis Morelle, qui leur apportait des livres et qui les emmenait parfois se dégourdir les jambes.
Quelques temps plus tard, les deux aviateurs embarquèrent dans un camion et furent déplacés à Nogent-sur-Oise où ils logèrent chez un vieil homme, Mr Leclercq.
Au cours de la seconde quinzaine du mois de mai, ils furent emmenés en voiture à Chantilly dans un hôtel proche de la gare.
Cet hôtel était utilisé comme point de rendez-vous. Ils y rencontrèrent deux Polonais ainsi que deux autres aviateurs américains : le S/Sgt Clifford G. Golke et le Sgt Cletus S. Hard, membre d''équipage à bord d’une Forteresse volante abattue le 10 avril à Ercuis (Oise). Golke et Hard avaient précédemment séjourné pendant cinq semaines chez la famille Viet à St Vaast-les-Mello.
Deux guides, Patrick Hovelacque et une jeune femme, se partagèrent les six hommes en les divisant en deux groupes de trois. Payne, Colburn et Hard restèrent avec Patrick Hovelacque tandis que Golke et les deux Polonais suivirent la jeune femme. Tous prirent ensuite le train à destination de Paris.
Arrivés en gare du Nord à Paris, les aviateurs s’engouffrèrent dans le métro puis séjournèrent dans différents appartements de la capitale pendant quelques jours.
Le 30 mai, ils furent emmenés à la gare d’Austerlitz où ils prirent un train de nuit à destination du Sud-Ouest accompagnés de deux jeunes femmes qui leur servaient de guides.
Le 1er juin, ils arrivaient à Bordeaux. Ils furent emmenés en voiture au domicile de Jean Delfour, chef de la Police bordelaise. Deux jours plus tard, regroupés avec d'autres évadés, leur périple reprit en direction des montagnes pyrénéennes et l'Espagne. Confiés à des passeurs, la longue et difficile ascension débuta. Ils parvinrent à franchir la frontière dans la soirée du 4 juin.
Sur le versant espagnol, ils furent arrêtés par la police franquiste et internés dans le camp de Miranda de Ebro.
Libérés, Colburn, Payne et Hard parvinrent à Gibraltar le 3 juillet puis s’envolèrent à destination de Bristol, en Angleterre, où ils atterrissaient le 4 juillet.
Dès son retour en Angleterre, plus de quatre mois après la chute de son avion, le S/Sgt Colburn put enfin envoyer un télégramme pour rassurer son épouse et sa famille. La nouvelle se répandit très vite qu’il serait bientôt de retour au pays.
Auparavant, il devait rejoindre son unité à Polebrook. Il se rendit compte que toutes ses affaires avaient disparu, seules quelques photos subsistaient. Après quelques jours sur la base, il fut rapatrié par avion à New York avant de retrouver son épouse et sa famille dans l’Alabama.
De l’union d’Eugene et Mary naquirent quatre enfants, un fils et trois filles.
Eugene reprit son emploi et travailla dans l’industrie du bâtiment pendant 36 ans. Passionné par son travail, il construisit une maison pour sa propre famille. Il aimait également beaucoup la menuiserie et il n’était pas rare de le voir créer des objets en bois simplement pour le plaisir.
Eugene et Marie dans l’après-guerre.
Eugene A. Colburn parlait peu de la guerre auprès de son entourage mais n’avait cependant jamais oublié les familles françaises qui lui vinrent en aide en 1944.
Après la Libération de notre région, il reçut des lettres de France écrites par ses sauveteurs, lettres auxquelles il ne répondit pas. Débriefé dès son retour en Angleterre en juillet 1944, il respecta l’engagement qu’il avait signé. Il ne devait dévoiler à quiconque et garder le secret sur la façon dont il s’était évadé de France au grand désespoir de ceux qui l'avaient secouru et qui lui demandaient de ses nouvelles.
Eugene et Mary furent mariés pendant 61 ans appréciant tout ce que la vie pouvait leur offrir, entourés de leurs enfants et petits-enfants.
Eugene A. Colburn est décédé à l’hôpital de Tuscaloosa le 20 juillet 2004 à l’âge de 83 ans. Son épouse Mary décéda un an plus tard.
16 septembre 2016 : visite de Laura Parker, sa petite-fille.