6 septembre 1943
Boeing B-17F # 42-3455 "Lucky Thirteen"
384th Bomb Group
546th Bomb Squadron
8th Air Force
Airion (Oise)
In English
Lundi 6 septembre 1943 : un raid aérien stratégique d’une ampleur sans précédent se préparait à être lancé au cœur du Reich par le 8e Bomber Command.
Pas moins de 338 Forteresses volantes de différents Groupes de bombardement s’apprêtaient à prendre l’air depuis leurs bases disséminées dans le sud de l’Angleterre.
Objectif principal du jour : la ville de Stuttgart, dans le sud de l’Allemagne, et son complexe industriel et aéronautique de première importance.
Parmi les équipages assignés à cette longue et lointaine mission, figurait celui du B-17 "Lucky Thirteen" du 384th Bomb Group. 21 B-17 de ce Bomb Group s’élancèrent de la base de Grafton Underwood, dans le Northamptonshire, pour ce raid à hauts risques.
L’équipage du B-17 # 42-3455 Lucky Thirteen dont c’est la 6e mission opérationnelle :
1st Lt Russel R. FAULKINER | Pilote | 22 ans | Evadé | Moundsville, West Virginia |
2nd Lt Warren B. HOLLAND | Copilote | Prisonnier | Rhode Island | |
2nd Lt Richard J. PEIRCE | Navigateur | 27 ans |
Prisonnier | Kingsport, Tennessee |
2nd Lt Harry A. HAWES | Bombardier | 26 ans |
Evadé | Kansas City, Missouri |
T/Sgt Oscar K. HAMBLIN | Mitrailleur dorsal | 22 ans |
Evadé | Kennewick, Washington |
T/Sgt Charles L. KIRBY Jr | Opérateur-radio | 22 ans | Prisonnier | Massachusetts |
S/Sgt Harry SAPERSTEIN | Mitrailleur ventral | 23 ans |
Prisonnier | New York |
S/Sgt James P. MORLEY | Mitrailleur latéral droit | 25 ans |
Prisonnier | Pennsylvania |
S/Sgt Edward F. RUCH | Mitrailleur latéral gauche | 21 ans |
Prisonnier | Pennsylvania |
S/Sgt William H. ROSS | Mitrailleur de queue | Prisonnier | Ohio |
Juin 1943 - Casper, Wyoming
De gauche à droite :
S/Sgt Saperstein, T/Sgt Hamblin, S/Sgt Morley, 2nd Lt Peirce, 2nd Lt Holland, 2nd Lt Riddel*, 2nd Lt Hawes,
T/Sgt Kirby, S/Sgt Ruch et S/Sgt Ross.
* Le 2nd Lt Jacques E. Riddel fut tué en mission au dessus de l'Allemagne le 28 juillet 1943.
Le décollage des appareils s’effectua entre 6 heures et 7 heures. L’imposante force aérienne s’assembla en formations compactes dans le ciel anglais puis mit le cap en direction de la France. La côte était franchie vers 7 h 30 aux environs de Berck-sur-Mer, conformément au plan de vol.
Mais dès l’entrée au dessus du territoire français, la météo se dégrada rapidement. D’épais nuages puis le brouillard obligèrent les formations de bombardiers à se scinder. Certains appareils ont commencé à rompre leur formation et à se disperser. Cette dégradation de la météo n’entraîna pourtant pas l’annulation de la mission. Les conséquences s’avèreront désastreuses pour le 8e Bomber Command.
La centaine de chasseurs d’escorte, au rayon d’action encore limité à cette période de la guerre, fit demi-tour et rentra en Angleterre, abandonnant à son sort l’immense armada qui continua sa route vers l’est, en direction de l’Allemagne.
Dans le ciel apparaissait bientôt la Luftwaffe. Les chasseurs de la JG 2 et de la JG 27 montaient à la rencontre des formations de bombardiers et le combat s’engageait. Les mitrailleurs américains ripostaient de toutes leurs armes mais de nombreuses Forteresses volantes furent touchées et abattues, entrainant tragiquement la perte de leurs équipages.
Vers 9 h30, seuls environ 150 appareils dont le Lucky Thirteen, parvenaient à atteindre Stuttgart ou ses abords. Certains dépassèrent leur objectif principal et se détournèrent vers des cibles secondaires.
A environ 7 500 m d’altitude, les appareils s’alignèrent à plusieurs reprises pour la phase finale de bombardement, cherchant désespérément à identifier leur cible à travers les nuages qui masquaient la ville. La Flak lourde, entrée en action, se faisait de plus virulente et précise. Les appareils, dont certains avaient subi des dégâts, larguèrent leurs cargaisons de bombes sur toute cible jugée opportune.
Le Lucky Thirteen lâcha ses bombes après avoir effectué trois passages au dessus de la ville depuis une altitude de 22 000 pieds et amorça son trajet retour, au sein d’une formation qui commençait à s’étirer. L’appareil était endommagé par la Flak et à plusieurs reprises par les chasseurs ennemis, entrainant la perte de deux moteurs.
Le 1st Lt Faulkiner et son copilote constatèrent que les aiguilles des manomètres de carburant commençaient à osciller à la baisse de façon inquiétante. Le pilote ordonnait le transfert des réservoirs situés à l’extrémité des ailes vers les réservoirs principaux. De précieux gallons d’essence s’évaporaient dans les airs en raison de gros trous dans les ailes.
Les multiples passages au dessus de la cité allemande avaient inévitablement entrainé une surconsommation de carburant. Il s’avéra vite évident pour les équipages que tous ne réussiraient pas à rallier l’Angleterre.
Le cap fut mis à l’ouest. Le Lucky Thirteen parvenait à regagner la France mais était contraint de quitter la formation dans la région de Reims. Il se retrouva rapidement isolé tout en perdant progressivement de l’altitude. Malgré l’importante quantité de carburant perdu et ses moteurs endommagés, l’espoir demeurait d’atteindre les côtes de la Manche puis l’Angleterre.
Les membres de l’équipage, à l’arrière, commencèrent à jeter par dessus bord les bandes de munitions, les équipements radio afin d’alléger au maximum l’appareil.
De nouveau, le Lucky Thirteen fut attaqué frontalement par un chasseur FW-190 faisant feu de toutes ses mitrailleuses. Ses obus de 20 mm frappaient particulièrement le cockpit et le compartiment-radio. Le 2nd Lt Holland, le T/Sgt Kirby étaient sérieusement blessés. Le mitrailleur Ruch était atteint au genou, le mitrailleur de queue Ross à la poitrine. Le 1st Lt Faulkiner, le 2nd Lt Hawes et le T/Sgt Hamblin étaient légèrement blessés, atteints de petits fragments d’éclats d’obus.
Il était désormais évident que le Lucky Thirteen ne pourrait jamais rejoindre l’Angleterre. Le pilote donna l’ordre d’évacuation de l’appareil.
Après s’être extirpé de la tourelle ventrale, le S/Sgt Saperstein ainsi que le S/Sgt Morley venaient en aide à l’opérateur-radio Kirby blessé au dos. Ils lui fixèrent son parachute et parvenaient à l’évacuer de l’avion par la soute à bombes.
Tour à tour, tout l’équipage abandonna l’avion tandis qu’il survolait à basse altitude la région de Clermont (Oise). Il était environ midi-13 heures.
Les 2nd Lt Holland et Peirce, le T/Sgt Kirby, ainsi que les S/Sgt Saperstein, Morley, Ruch et Ross furent faits prisonniers peu après avoir touché le sol. L’un d’entre eux tomba sur la toiture de l’un des pavillons de l’hôpital psychiatrique de Fitz-James, tout proche de Clermont. Les blessés furent emmenés sous bonne garde vers des hôpitaux où ils seront soignés avant d’être envoyés dans des camps de prisonniers en Allemagne jusqu’à la fin de la guerre.
Le 1st Lt Russel R. Faulkiner, le 2nd Lt Harry A. Hawes et le T/Sgt Oscar K. Hamblin étaient plus chanceux en étant recueillis par la population.
Le Lucky Thirteen, en perdition, continua sa course et, après avoir effectué un large cercle, vint finalement s’abattre et se désintégrer dans les arbres du bois des Moines, sur le territoire de la commune d’Airion, à quelques kilomètres au nord de Clermont.
T/Sgt Oscar K. Hamblin :
Après avoir évacué l’appareil, le T/Sgt Hamblin se rendit vite compte que son parachute le portait en direction d’un secteur boisé au milieu duquel se trouvaient de nombreux étangs. Tirant sur ses suspentes, l’aviateur tentait d’éviter la zone qui se présentait sous ses pieds mais le vent le rabattait inexorablement. Parvenant de justesse à éviter de grands peupliers, l’aviateur chuta au milieu de l’eau. Entremêlé dans son parachute, il parvint à actionner immédiatement la valve de sa Mae-West pour remonter à la surface et tenta rapidement de déboucler son parachute. Il utilisa finalement son couteau pour se libérer de son harnais.
Le T/Sgt Oscar K. Hamblin venait de chuter dans la propriété du Chalet des Etangs de Mr Louis Faulon à Breuil-le Sec.
Mr Faulon assista à cette scène incongrue. Avec son épouse, il entreprit de mettre à l’eau une barque afin de porter secours à l’aviateur qui se débattait au milieu de l’étang. Approchant de la corolle blanche qui flottait et de cette tête qui émergeait, Louis Faulon demanda à l’aviateur s’il était Américain. "Yeah !" répondit l’aviateur. Cette réponse, phonétiquement proche du "Ja" allemand, sema immédiatement le trouble dans l’esprit de Mme Faulon qui pensa qu’il s’agissait d’un pilote allemand. Elle brandissait immédiatement une rame, prête à frapper "l’ennemi".
Son mari réagissait aussitôt lui affirmant que l’aviateur était bien un Américain. Il était alors hissé à bord de l’embarcation et ramené vers la berge.
Ils constatèrent que l’aviateur était blessé à la cuisse et au dos. Le T/Sgt Hamblin fut rapidement emmené à l’intérieur de la maison des Faulon tandis qu’un chasseur allemand, à basse altitude, survolait le secteur à la recherche des aviateurs abattus.
Mr et Mme Faulon fournissaient immédiatement au rescapé des vêtements civils. Ses équipements militaires étaient vite enterrés dans les marais à proximité de la propriété.
Après avoir été hébergé pour la nuit, le T/Sgt Hamblin fut emmené tôt le lendemain matin au domicile d’André Pommery, maire du village.
Prévenu, Gaston Legrand arriva ensuite rapidement afin de prendre en charge l’aviateur. Il l’emmena à moto à son domicile, rue du Châtelier à Clermont.
2nd Lt Harry A. Hawes
Le 2nd Lt Hawes suspendu à son parachute, ne put éviter un bouquet d’arbres dans lequel il tomba, restant suspendu quelques minutes à quelques mètres du sol. Avec difficulté, il parvint à se libérer de ses suspentes et chuta sur le sol, se blessant légèrement à la cheville. Il réussissait à rassembler son parachute et cacha son équipement sous un tas de feuilles.
Le 2nd Lt Hawes s’approcha de la lisière du bois, traversa une route mais apercevant des personnes au loin, il décida de se cacher dans des buissons puis dans un champ de hautes herbes. Au loin, il entendit des motocyclistes allemands qui remontaient la route, se dirigeant vers le bois. L’aviateur décida alors de prendre un peu de repos, se dissimulant sous les herbes hautes pour éviter d’être aperçu par un avion de chasse allemand qui survolait les parages à la recherche des aviateurs.
Vers 19 heures, préférant éviter un petit groupe de Français aperçus au loin, il choisissait de se rendre vers une grange à proximité et se dissimulait sous des gerbes de lin entreposées dans le grenier, passant la nuit au milieu des rats et des souris.
Tôt le lendemain matin, n’ayant observé personne à proximité, le 2nd Lt Hawes sortit prudemment de la grange et suivit une petite route bordée d'arbres. Derrière un talus, il aperçut alors un campement allemand. Effectuant un détour, il s'en éloigna avant de rencontrer un groupe de Français cueillant des pommes dans un verger. Se rendant compte que les Français l'avaient aperçu, le 2nd Lt Hawes marcha à leur rencontre. Utilisant son livret de traduction, il leur expliqua qu'il était est Américain et que son appareil avait été abattu au retour d'un raid sur l'Allemagne. Les Français lui indiquèrent que les Allemands étaient partout dans la région et lui firent comprendre que le seul moyen de passer inaperçu pour le moment était de les aider à cueillir les pommes.
Pendant ce temps, l'un des hommes du groupe partit avertir un homme dont il savait qu'il parlait parfaitement anglais.
Le 2nd Lt Hawes avait atterri non loin de Ronquerolles, à quelques kilomètres à l'ouest de la ville de Clermont.
L'homme revint quelques temps plus tard accompagné de Mr Paul Corbière, propriétaire de la ferme de la Garenne. Il l'interrogea en anglais et lui indiqua qu'il allait être aidé dans la poursuite de son évasion. En attendant, des vêtements d'ouvrier et de la nourriture étaient donnés à l'aviateur qui retournait cueillir les pommes jusqu'en fin d'après-midi.
Le 2nd Lt Hawes fut ensuite caché dans la maison forestière d’Hector Logeais, garde particulier du domaine de la Garenne. En début de soirée, Gaston Legrand et Roland Lucchesi arrivèrent ensemble à moto près de la ferme de la Garenne. L’aviateur fut installé sur la moto, entre Gaston Legrand qui la conduisait et Roland Lucchesi à l’arrière. Lors du trajet en direction de Clermont, ils croisèrent des patrouilles motocyclistes allemandes toujours à la recherche des aviateurs tombés la veille et franchissaient sans encombre les points de contrôle.
Au domicile de Gaston Legrand, sur les hauteurs de la ville, le 2nd Lt Hawes eut la grande surprise de retrouver son compagnon d’équipage Oscar K. Hamblin.
1st Lt Russel R. Faulkiner
Atterrissant dans un champ à l’ouest de Clermont, il cacha immédiatement son parachute tandis qu’un chasseur allemand FW 190 survolait le secteur à basse altitude. Rapidement, l’aviateur courut se dissimuler dans un bois à proximité. Apercevant un homme, il décida de s’en approcher. Parlant quelques mots de français, il lui expliqua qu’il était Américain et qu’il était légèrement blessé. Le Français l’emmena à son domicile dans le village voisin. Sa fille soigna ses blessures et des vêtements civils lui furent donnés. Un homme arriva ensuite mais il semblait ne pas apprécier l’aide qui lui était apportée. Craignant d’être livré à l’ennemi, le 1st Lt Faulkiner décida de déguerpir, regagnant la zone boisée où il s’était caché précédemment. Il y resta dissimulé toute l’après-midi.
A la tombée de la nuit, sorti du bois en direction du sud-ouest, il atteignit Bresles après quelques heures de marche. Il était alors environ minuit. Il n’y avait personne dans les rues. Après avoir quitté la ville, il passa finalement le reste de la nuit caché dans une meule de foin.
Vers 5 heures le lendemain matin, le 1st Lt Faulkiner reprit son périple, rencontrant quelques Français, croisant parfois des soldats allemands. En milieu de matinée, fatigué et affamé, il aperçut deux enfants travaillant dans un champ puis s'approcha d'un homme âgé d'une soixantaine d'années occupé à arracher des pommes de terre. Lui avouant qu’il était Américain et après lui avoir montré une carte indiquant où il désirait se rendre, cet homme décida de l’héberger. Russel Faulkiner venait de rencontrer François Louis qui habitait dans le hameau de Bonvillers, près de Cauvigny. Louise, sa femme, prépara immédiatement un repas. Les vêtements humides du pilote furent retirés puis le couple lui offrit un lit dans lequel il s’endormit jusque 17 heures. Peu après, Marguerite Wiotte, la fille du couple arriva et lui fit comprendre qu'il était plus prudent de rester là pour la nuit. Elle partit ensuite à bicyclette à Clermont afin d'avertir son beau-frère, Marcel Martin, de la présence du pilote américain. Membre de l'OCM, Marcel Martin en référa à son chef de groupe, Louis Tanguy. Un plan fut alors élaboré pour prendre en charge Russel Faulkiner.
Au cours de la matinée du lendemain, 8 septembre, Gaston Legrand arriva à moto au domicile de François Louis, accompagné de Louis Tanguy. Ils montrèrent à l’aviateur des photos d’Harry Hawes et d’Oscar Hamblin qu'il reconnut aussitôt. Le 1st Lt Faulkiner fut rapidement emmené à Clermont, au domicile de Gaston Legrand, rue du Châtellier, où il retrouva ses deux compagnons d’équipage hébergés depuis la veille.
Gaston Legrand partageait la vie d’Odette Sauvage et du fils de celle-ci, Edmond, qui était âgé de 17 ans. Cette première soirée fut l’occasion pour Gaston et Odette de déboucher de bonnes bouteilles en l’honneur de l’arrivée de ces trois aviateurs tombés du ciel. Ils furent immédiatement considérés comme leurs propres enfants. Edmond, qui possédait des notions d’anglais, permettait à chacun de se comprendre.
Il fallait aussi nourrir et habiller ces aviateurs malgré les restrictions dues à l’occupant. Odette, bientôt surnommée la "Petite Mama" par les Américains, s’y employait sans compter. Gaston, ancien boucher, sillonnait la région et parvenait à ramener clandestinement de la viande et autres victuailles.
Les risques étaient pourtant grands. Le domicile de Gaston et Odette était situé à deux pas de la Kommandantur. Depuis la fenêtre de leur chambre à l’étage, les aviateurs pouvaient apercevoir les soldats allemands qui montaient la garde et arpentaient la rue.
Le 9 septembre, les trois aviateurs furent rejoints par un autre compatriote : le S/Sgt Willard D. McLain. Mitrailleur à bord du B-17 Black Ghost, 384th Bomb Group, 547th Bomb Squadron, il s’était parachuté dans la région de Beauvais puis avait été recueilli à Andeville. Au retour de cette même mission du 6 septembre sur Stuttgart, l’appareil fut à cours de carburant. Quatre des dix membres de l’équipage eurent la chance d’être recueillis par la population dont le S/Sgt McLain. Les six autres, certains étant gravement blessés, furent faits prisonniers par les Allemands.
Après avoir été secouru par différents patriotes, notamment à Andeville, c’est en voiture qu’arriva à Clermont le S/Sgt McLain au domicile de Gaston Legrand.
Cette mission du 6 septembre 1943 sur Stuttgart tourna à l’hécatombe puisque la 8e Air Force perdit 45 Forteresses volantes lors de ce raid, abattues soit par la chasse allemande, soit par Flak ou tombées à cours de carburant. C’est le pire résultat enregistré à ce moment de la guerre. Cinq de ces B-17 appartenaient au 384th Bomb Group. Trois d’entre eux viendront s’écraser dans le département de l’Oise.
Pendant leur séjour, une amitié sincère se créa immédiatement entre les aviateurs et la famille Legrand-Sauvage. Les quatre Américains inscrivirent leurs adresses sur un petit bout de papier afin que des contacts puissent se poursuivre une fois la guerre terminée. Par précaution, ce papier était conservé et dissimulé derrière le papier-peint au dessus du buffet de la salle à manger. Les aviateurs posèrent aussi pour des photos-souvenirs.
* Selon les souvenirs d’Harry A. Hawes, l’homme qui prit ces photos dans la salle à manger fut tué plus tard par les Allemands. Il s’agirait donc de Jean Corroyer, résistant, qui fut assassiné par la Gestapo et la Milice le 6 août 1944 à Clermont. Arrêtés le jour-même, sa femme Léonie et son fils Guy sont morts en déportation.
Ces quatre aviateurs furent les premiers à être hébergés par la famille Legrand-Sauvage. Tout au long de la guerre, elle accueillera pas moins de 24 aviateurs alliés sans compter les prisonniers français évadés, malgré tous les risques et périls.
Cette maison de la rue du Châtelier servait fréquemment de lieu de réunions clandestines destinées à nuire, par tous les moyens, à l’ordre hitlérien. Lors de leur séjour, Faulkiner, Hawes, Hamblin et McLain prirent conscience qu’ils étaient désormais entre les mains d’une structure organisée de la Résistance.
Avisé de la présence des quatre aviateurs américains, Roland Delnef, alias "Joseph", arriva de Creil pour les rencontrer. Responsable départemental de l’Organisation Civile et Militaire (OCM), il les interrogea puis leur expliqua qu'il mettait localement tout en œuvre afin que des filières spécialisées dans l'évasion puissent les mener au plus vite vers la frontière espagnole et la Liberté. En attendant, les quatre aviateurs devaient patienter.
Le vendredi 10 septembre, après un rapide petit-déjeuner, Faulkiner, Hawes et Hamblin quittaient vers 5 heures du matin la maison de la famille Legrand-Sauvage. Tous avaient foi en la victoire finale et tous se firent la promesse de se revoir après la guerre. Willard D. McLain resta seul, contraint de demeurer encore quelques temps chez ses hôtes. Les trois aviateurs furent emmenés discrètement au domicile de Georges Fleury, responsable du secteur Centre-Oise de l'OCM, qui habitait à proximité, rue de Mouy. Il était alors expliqué aux trois Américains ce qu’avait décidé l’Organisation.
Vers 9 heures, "Joseph*" et Marcel Gérardot arrivèrent à bord d’un petit camion bâché dans lequel les trois aviateurs prirent place, à l’arrière. Ils furent emmenés au domicile de Marcel Gérardot, rue Henri Pauquet, à Creil.
* Roland Delnef alias "Joseph", sera arrêté le 20 janvier 1944 dans un café, place du Châtelet à Paris, où il avait un rendez-vous important. Il fut déporté en camps de concentration, d’abord à Neuengamme puis à Gross-Rosen, Mauthausen et Sachsenhausen. Il fut libéré le 2 mai 1945.
Marcel Gérardot, Directeur de la Société Industrielle spécialisée dans la fabrication de chaudières, et son épouse Renée hébergèrent Faulkiner, Hawes et Hamblin jusqu’au 15 septembre.
Il fut alors décidé de transférer les trois aviateurs à Chauny, dans le département de l’Aisne, afin de les confier à l’Organisation dirigée par Etienne Dromas.
Le 15 septembre, les trois Américains furent emmenés à la gare de Creil et convoyés par Roland Delnef, par le train, jusqu’à Chauny. A leur arrivée, ils furent séparés. Hamblin fut hébergé chez Etienne Dromas à la mairie d’Ugny-le-Gay en compagnie de McLain qui était parvenu à Chauny après avoir séjourné temporairement à Creil.
Résistant de la première heure, Etienne Dromas était issu du monde cheminot où il était dessinateur. Responsable du secteur B de la Résistance de l’Aisne, il lutta activement à la tête de son groupe contre l’ennemi : sabotages de locomotives, de voies ferrées, de lignes téléphoniques, réception de parachutages …et aide aux aviateurs alliés. Plus de 80 d’entre eux furent hébergés sous son couvert dans la région en attendant la poursuite de leur évasion.
A leur arrivée, Faulkiner et Hawes furent hébergés chez Alfred Logeon, propriétaire du garage Saint Charles à Chauny. A deux pas se trouvait l’Institution Saint Charles occupée par l’ennemi. Il n’était pas rare pour les deux aviateurs d’apercevoir les patrouilles allemandes parader et déambuler dans la ville.
Alfred Logeon ne parlait pas anglais mais l’une de ses filles servait de traductrice entre la famille et les aviateurs qui séjournèrent pendant environ 15 jours. Comme quelques jours auparavant chez les Legrand-Sauvage, les deux Américains étaient considérés comme des membres de la famille. Les Logeon se débrouillaient pour leur offrir le meilleur confort possible et les nourrir au mieux malgré les restrictions. Rapidement, Faulkiner et Hawes furent pris en photo. Un drap fut étendu dans l’arrière-cour devant lequel les deux aviateurs posèrent en vue de leur établir de fausses cartes d’identité et de faux certificats de travail. Dans la salle de séjour de la maison, une bibliothèque renfermait toute une collection de magazines Reader’s Digest en langue anglaise qui aidèrent les deux Américains à passer le temps.
Mr Logeon, très impliqué dans la Résistance, possédait un poste-émetteur et était en contact avec Londres pour le compte de l’Organisation "Dromas". Pendant leur séjour, Faulkiner et Hawes furent invités à assister à une réunion clandestine qui se tint dans la maison. Après traduction des propos échangés, ils comprirent que le groupe de Résistance s’apprêtait à réceptionner un parachutage d’armes et de divers équipements dans la région. Les deux Américains se portèrent volontaires mais furent déçus d’apprendre que leur présence n’était pas acceptée.
Le 29 septembre, Faulkiner et Hawes rejoignirent la gare de Chauny où ils retrouvèrent leurs deux compagnons Hamblin et McLain. Pris en charge par "Petit Georges" (Georges Baledent), un guide âgé d’une vingtaine d’années venu de Creil, les quatre aviateurs prirent le train à destination de Paris.
Arrivés en gare du Nord, après avoir franchi les contrôles, les évadés s’engouffrèrent dans le métro avec lequel ils enjambèrent bientôt la Seine. Débouchant dans les rues de Paris, les quatre aviateurs furent guidés à pied vers le parc zoologique du Jardin des Plantes qui se trouvait à proximité. C’était le lieu de rendez-vous convenu. Les aviateurs étaient attendus par cette nouvelle organisation qui les avait désormais pris en charge : le réseau d’évasion "Bourgogne".
Les aviateurs furent séparés.
Le 1st Lt Faulkiner fut emmené par Madeleine Mélot, âgée de 60 ans, qui le conduisit dans son appartement, rue Larrey. Il y séjourna jusque dans la soirée du 1er octobre.
De retour au parc zoologique, Madeleine Mélot* vint prendre en charge le 2nd Lt Hawes et le T/Sgt Hamblin, laissant le S/Sgt McLain. Par le métro, elle guida les deux aviateurs dans le 14e arrondissement, chez Simone Levavasseur, propriétaire de "La Petite Chocolatière" au 19 bis rue d’Orléans (rue du Général Leclerc de nos jours). Hawes et Hamblin furent logés au dessus de la boutique. Pendant la journée, ils restaient confinés dans leur chambre et pouvaient apercevoir par la fenêtre les allées et venues des Allemands dans l’avenue. Le soir, après la fermeture de la boutique, ils étaient autorisés à descendre et pouvaient aussi prendre un peu l’air dans l’arrière-cour. La semaine suivante, ils reçurent la visite de Madeleine Mélot qui les avait rencontrés au Jardin des Plantes. Elle leur annonça qu’ils devaient encore patienter avant de poursuivre leur évasion. Dans la semaine qui suivit, elle revint de nouveau et leur apporta des livres, des rasoirs et leur annonça que le pilote Faulkiner avait quitté Paris.
*(Madeleine Mélot fut arrêtée le 19 novembre 1943. Elle séjourna pendant 4 mois à la prison de Fresnes avant d'être déportée au camp de concentration de Ravensbruck. Elle fut rapatriée en France en juin 1945).
Pendant ce temps, le S/Sgt McLain, en compagnie d’un autre compatriote, le F/O Prosser, avaient été emmenés à Fontenay-sous-Bois, en banlieue-est de Paris. Ils séjournèrent pendant environ six semaines chez Ulysse et Germaine Grassot qui habitaient rue du Plateau.
Dans la soirée du 1er octobre, le 1st Lt Faulkiner fut ramené par Madeleine Mélot au Jardin des Plantes où il fut remis à un jeune Français qui lui donna un billet de train. A la gare d’Austerlitz toute proche, il rejoignit tout un groupe d’évadés américains et britanniques. Accompagnés de trois guides, les aviateurs prirent le train vers 20 heures à destination de Toulouse. Peu de temps après le départ, des officiers allemands procédèrent à un contrôle de leurs papiers mais tout se passa sans problème.
Vers 9 heures le lendemain matin, ils arrivèrent en gare de Toulouse où le groupe devait changer de train.
Vers 15 heures, ils montèrent à bord d’un train à destination de Foix. Au cours d’un arrêt, le groupe descendit du train et continua son périple à bord d’un autobus, au pied des montagnes pyrénéennes. Arrivés dans un village, ils entrèrent dans un café utilisé comme lieu de rendez-vous puis ils furent emmenés dans une grange. Les guides ne se présentant pas au bout de quatre jours, les aviateurs reprirent un bus qui les mena vers le village d’Auzat, proche de la frontière espagnole. Pris en charge par trois guides, commencèrent alors quatre longues journées de marche à travers la montagne en direction d’Andorre.
Après un repos de deux jours dans la Principauté, il leur fallut quatre jours de marche supplémentaires avant de pouvoir prendre un train à destination de Barcelone, en Espagne, où ils arrivèrent le 9 octobre. Au Consulat britannique de la ville, on leur prit tous leurs papiers et leur argent français.
Les aviateurs furent ensuite dirigés vers Madrid puis, par le train, vers Gibraltar.
A bord d’un avion, le 1st Lt Faulkiner quitta finalement Gibraltar et rejoignit Bristol, en Angleterre, le 29 octobre.
Avec leurs guides et parmi d’autres aviateurs, Hawes et Hamblin quittèrent finalement Paris le 22 octobre à bord d’un train de nuit à destination de Toulouse. Pourvus de faux-papiers précisant qu’ils étaient sourds et muets, on leur recommanda de hocher uniquement la tête si quelqu’un leur adressait la parole. Une fois dans le compartiment, Harry Hawes, son ticket de train dans la bande de son chapeau, ouvrit un journal qui lui avait été donné. Un Français s’approcha alors et retourna rapidement le journal que l’aviateur tenait... à l’envers !
Le lendemain, après avoir atteint Toulouse, le groupe prit un autre train à destination de Foix puis de Pamiers. De là, ils montèrent à bord d’un autobus qui les emmèna sur les routes sinueuses de montagne.
Commença alors, pendant plusieurs jours et nuits, la périlleuse traversée des Pyrénées pour le groupe des 13 évadés comprenant des Américains, des Anglais mais aussi des Français qui espèraient pouvoir rejoindre les Forces Françaises Libres.
Menée par un passeur, la montée vers la frontière espagnole s’effectua bientôt sous la pluie et dans le vent qui accentuaient la fatigue. Entrecoupée de courtes pauses où chacun se restaurait avec ce qu’il possédait, l’ascension se poursuivait vers le col qui marquait la frontière. Bientôt les fugitifs atteignirent les premiers névés. Les hommes peinaient à progresser dans la neige qui se faisait de plus en plus épaisse. Le souffle se faisait aussi plus court en raison de l’altitude.
Chacun se demandait s’il parviendrait à atteindre le sommet, l’Espagne et la Liberté. Tous s’encourageaient mais la nervosité entraînait aussi certaines dissensions dans le groupe.
La crête frontalière fut finalement franchie. Débuta alors la longue descente vers Andorre. D’Andorre, les évadés rejoignirent Barcelone le 29 octobre et se présentèrent à l’Ambassade de Grande Bretagne. Après une nuit et une journée, les aviateurs, sous immunité diplomatique, atteignirent Madrid où ils séjournèrent plusieurs jours.
Ce fut ensuite le départ par le train vers Gibraltar où ils arrivèrent le 12 novembre.
Après quelques jours, Hawes et Hamblin embarquèrent à bord d’un avion à destination de Portreath, en Angleterre, y atterrissant le 18 novembre 1943.
Bientôt, au cours de l’émission quotidienne "Les Français parlent aux Français" émise sur les ondes de la BBC à Londres, était diffusé, parmi d’autres et malgré le brouillage, ce message personnel : "Les trois lapins blancs sont arrivés sains et saufs". Il était strictement interdit d'écouter la BBC en France mais ce message, convenu au cours de leur évasion, permit de prévenir leurs sauveteurs français qu’ils étaient parvenus à regagner l’Angleterre.
Le S/Sgt Willard D. McLain arriva en Espagne le 17 novembre en franchissant les Pyrénées avec parfois de la neige jusqu’à la taille. Sur le versant espagnol, son groupe fut arrêté par la police franquiste. Après un séjour en prison, il parvint à Gibraltar le 15 décembre, d’où il s’envola, atterrissant à Bristol, en Angleterre, le 18 décembre 1943.
Faulkiner, Hawes, Hamblin et McLain rejoignirent ensuite tour à tour leur base à Grafton Underwood avant d’être rapatriés, après plusieurs jours de navigation, aux Etats-Unis où ils retrouvèrent leurs familles.
Entre septembre et décembre 1943, le réseau Bourgogne permit l’évacuation par l’Espagne d’environ 150 aviateurs alliés auxquels s’ajoutèrent une centaine de Français.
En septembre 1944, le département de l’Oise fut libéré puis, en mai 1945, la guerre se termina en Europe. La vie reprit peu à peu son cours normal et les années passèrent… Odette Sauvage, son fils Edmond et Gaston Legrand n’avaient pourtant pas oublié les jeunes boys qu’ils avaient hébergés au cours des années noires de l’Occupation allemande. Grâce aux adresses laissées par les aviateurs, les contacts ne furent jamais interrompus.
Dès 1947, Edmond Sauvage partit sillonner différentes régions des Etats-Unis où il rencontra certains de ceux qu’il avait contribué à sauver en 1943 et 1944, tels Glenn E. Camp au Texas, Leonard F. Bergeron dans le Connecticut, et bien d’autres...
25 ans après la fin du conflit, Oscar K. Hamblin, accompagné de son épouse et de son fils, entreprit en août 1969, le voyage du souvenir à Clermont afin de remercier personnellement Gaston Legrand, Odette et Edmond Sauvage ainsi que Louis Faulon qui lui avait permis d’échapper aux Allemands dès les premières heures de son évasion. Ces retrouvailles émouvantes et chaleureuses furent l’occasion pour chacun de se remémorer leurs souvenirs sur les lieux-mêmes où ils s’étaient rencontrés pour la première fois. Oscar Hamblin put revoir l’étang dans lequel il était tombé et rencontrer également Mr André Pommery.
Le 1er septembre, la famille Hamblin fut reçue officiellement à l’Hôtel de Ville de Clermont où le maire, Mr Jean Bouet, remit la Médaille d’Honneur de la ville à l’aviateur en présence du conseil municipal et des associations patriotiques.
En 1976, à l’invitation de leurs amis américains, Odette et Gaston, délaissant pour quelques temps leur commerce, entreprirent à leur tour de traverser l’Atlantique pour une odyssée à travers les Etats-Unis. Leur première visite se déroula chez Oscar Hamblin, dans l’état de Washington, où ils furent reçus en héros et à bras ouverts par leur hôte et sa famille. Les visites se poursuivirent à El Paso, au Texas, et dans le Wisconsin. De formidables retrouvailles qui contribuèrent à perpétuer, tout au long de leur voyage, les sincères sentiments d’amitié noués au cours de la guerre entre cette famille de sauveteurs et ces hommes tombés du ciel.
Oscar K. Hamblin décéda le 21 juillet 1993, âgé de 72 ans.
Comme de nombreux aviateurs, Harry A. Hawes n’avait jamais oublié cette période de sa jeunesse où des patriotes français lui avait permis d’éviter la capture. Il poursuivit sa carrière dans l’Air Force, servant sur différentes bases des Etats-Unis ainsi qu’au Japon. Il prit sa retraite en 1962.
Dix ans après son ami Oscar K. Hamblin, Harry A. Hawes vint également avec son épouse à Clermont pour rencontrer ses sauveteurs au cours du mois de mai 1979. L’aviateur put alors exprimer toute sa reconnaissance et sa gratitude envers la famille Legrand-Sauvage et les habitants de Clermont qui avaient contribué à ce qu’il puisse rejoindre la Liberté 36 années auparavant.
Harry A. Hawes décéda le 27 mai 2008 à Sacramento, Californie, à l’âge de 91 ans.
Le pilote du Lucky Thirteen, Russel R. Faulkiner, continua de servir dans l’Air Force, prenant sa retraite en 1970 avec le grade de colonel. Décédé prématurément d’une crise cardiaque en janvier 1975 à l’âge de 53 ans, il n’eut jamais l’occasion de revenir en France.
Willard D. McLain décéda en janvier 2010 dans sa 88e année.
Quelques débris du Lucky Thirteen :
Plaque de collecteur d'échappement Elément de l'un des turbocompresseurs